LES RAISONS DU DEBAT SUR LE DECRET LOI 116 SUR L’AUDIOVISUEL
HAMDANE Mohamed
Professeur -IPSI
Dans un climat de tension sur le statut de la télévision publique un débat national a été organisé sous l’initiative du gouvernement sur l’information et a contribué à renforcer cette tension.
Le décret loi No 115 du 2 novembre 2011 portant refonte du code de la presse, et le décret loi No 116 portant la meme date relatif à la liberté de la communication audiovisuelle et à la création d’une Haute Instance Indépendante de la Communication Audiovisuelle(HIICA) ont été soumis à ce débat avant de les présenter à l’assemblée constituante pour examen et approbation..Si le nouveau code de la presse a permis la floraison de plusieurs périodiques et a garanti une certaine liberté d’expression au sein de la presse écrite, la HIICA n’a pas encore vu le jour. Et l’INRIC considère que la défaillance de cette instance contribue à la crise actuelle de l’audiovisuel .D’autres parties adressent des critiques acerbes contre cette instance et réclament la révision du décret loi 116.
Quel est l’apport effectif de ce texte et dans quelle mesure il peut assurer la liberté d’expression audiovisuelle ? et quels sont d’autre part les griefs qu’on adresse à ce texte et qui pourraient expliquer son gel actuellement ?
Apports du décret loi 116
Le souci principal qui a guidé à l’adoption de ce texte était de dégager les médias audiovisuels publics et privés de l’emprise des pouvoirs publics .Le moyen le plus approprié a été de créer une autorité de régulation indépendante ,la HIICA, chargée d’organiser , de controler le fonctionnement du secteur audiovisuel et de garantir sa liberté et son impartialité , à l’instar des organismes similaires qui existent dans les pays démocratiques..
Cette instance répond au niveau de sa composition et de son organisation aux normes d’indépendance reconnues sur le plan international .Le décret loi assure cette indépendance grace à la collégialité de l’instance , à la désignation démocratique de ses membres, à leur représentativité des différentes parties concernées par l’audiovisuel ,à la durée limitée de leur mandant ,à à leur inamovibilité, et à leur disponibilité exclusive pour la mission qui leur a été confiée et à l’incompatibilité de leur fonctions avec emplois pour les dégager de l’influence des pouvoirs politiques et économiques.
La HIICA répond aussi au niveau de ses missions aux objectifs de garantie de liberté d’expression , de pluralisme , et de neutralité dans la régulation des médias .Le décret loi 116 accorde à cette instance des attributions qui étaient monopolisées auparavant par le pouvoir politique . La HIICA dispose d’un pouvoir de décision effectif pour délivrer les autorisations d’exploitation des entreprises audiovisuelles privées, pour élaborer les différents textes d’organisation du secteur , pour controler le fonctionnement des entreprises et le contenu de leurs production audiovisuelle, et pour sanctionner les violations de la réglementation. Cette autorité de régulation dispose aussi d’un pouvoir consultatif pour nommer les présidents des établissements audiovisuels publices , élaborer et proposer la législation audiovisuelle .Grace à cette instance, le secteur échappe désormais à l’emprise de l’Etat et garantit sa liberté.
Les critiques adressées au décret loi
Malgré ses apports évidents ,le décret No116 soulève des critiques à plusieurs niveaux :au niveau du contexte de son élaboration, au niveau de l’organisation de la HIICA et au niveau de ses attributions.
Les reproches adressés à ce texte émanent des acteurs politiques qui souhaiteraient garder leur mainmise sur le secteur , des promoteurs des entreprises audiovisuelles privées qui souhaiteraient défendre leurs intérets économiques ,et des professionnels de l’audiovisuel qui souhaiteraient avoir un role plus important dans la gestion du secteur. Mais leurs critiques ne manquent pas de pertinence.
D’autres réserves ont été formulées quant à la composition et l’organisation de la HIICA. Un premier problème peut etre soulevé quant à la nature juridique de cette instance .En vertu du décret loi 116, il s’agit d’un organisme ayant la personnalité juridique et l’autonomie financière Il peut etre qualifié comme c’est le cas du C .S.A. français d’ (autorité administrative indépendante).
La composition de la HIICA est dominée dans sa représentativité par les syndicats professionnels : Sur les 9 membres qui la composent , un seul membre ,le Président de l’instance est désigné par le chef de l’Etat ,2 membres sont désignés par le pouvoir législatif ,les 6 autres membres sont proposés par les structures professionnelles les plus représentatives y compris les deux magistrats prévus dans le textes. Sans etre une instance d’autorégulation les structures professionnelles sont largement représentés au détriment des pouvoirs publics élus par le peuple et au détriment d’autres composantes de la société civile concernée par le secteur audiovisuel notamment les représentants du monde de la culture et de l’éducation et les représentants du public.
Ce sont surtout les larges attributions de la HIICA qui suscitent le plus de craintes et la polémique. Le texte instituant cette instance n’a pas été précédé d’un loi réglementant l’audiovisuel et qu’elle serait chargée d’appliquer comme c’est le cas de la loi du 30 septembre 1986 sur la liberté de la communication en France .L’instance tunisienne de contrôle des élections instituée elle aussi après la révolution avait une loi préalable à appliquer. Le décret loi No 116 été conçu comme un texte réglementant la liberté de la communication audiovisuelle mais il n’a posé que des principes très généraux dans ce sens et il s’est surtout focalisé sur la détermination du statut détaillé de la HICAA, et il a confié à cette instance des attributions réglementaires très larges.. Ces attributions très étendues dépassent normalement le cadre des compétences d’une autorité administrative et empiètent sur les compétences du pouvoir législatif et réglementaire.
En tant qu’autorité administrative , la HICAA dispose de compétences non moins étendues. Elle est chargée essentiellement de délivrer les licences d’exploitation aux entreprises audiovisuelles privées. Elle cumule cette mission avec le controle du fonctionnement des chaines audiovisuelles publiques alors que les deux secteurs sont soumis dans certains pays à des autorités de régulation différentes.
Ce sont surtout les attributions judiciaires étendues de la HIICA qui soulèvent le plus de critiques . Le décret No 116 attribue en effet à cette instance le pouvoir de trancher les conflits engendrés par l’exploitation et le fonctionnement des entreprises audiovisuelles .En plus du pouvoir d’enquete sur place et sur pièce dont elle dispose grace à un corps de controleurs mis à son service, la HIICA dispose des pouvoirs d’adresser des avertissements aux entreprises audiovisuelles, d’arréter la production ou la diffusion de certaines émissions, de réduire la durée des autorisations d’exploitation , de suspendre temporairement ces autorisations et meme de les retirer définitivement. La HIICA dispose par ailleurs d’un pouvoir de sanctions pécuniaires qui peuvent atteindre 50 mille dinars. Elle dispose d’un pouvoir de saisie et de réquisition des équipements. Le décret No 116 prévoit certes des règles très minutieuses pour mettre en application ces sanctions , pour garantir le droit à la défense, pour assurer les recours judiciaires contre ces sanctions au niveau de l’appel. Mais ces attributions sortent du cadre normal attribué à ce genre d’autorités administratives meme si elles sont indépendantes. Si on ajoute à ces compétences de sanctions , celles de légifération ,celles de contrôle, celle d’émettre un avis conforme pour la désignation des présidents des chaines audiovisuelles publiques, on s’aperçoit d’une concentration excessive des pouvoirs attribués à la meme autorité. Le statut de la HIICA , en contradiction avec le principe de séparation des pouvoirs pourrait engendrer le détournement de pouvoirs .
En conclusion on peut estimer que le principe de création d’une autorité indépendante de régulation de l’audiovisuel constitue un acquis dans la voie de la démocratie .La HIICA doit exister et doit commencer à fonctionner mais son statut mérite d’etre révisé pour lui assurer le plus de chances de garantir la liberté et la promotion du secteur audiovisuel en Tunisie.
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